Après un été caniculaire, les températures élevées de septembre ont incité les cerfs à se réfugier à l’ombre des forêts. Alors que leurs concerts puissants secouent habituellement la montagne, 2018 est étrangement silencieux. Quelques timides coups de gueule en fin de nuit, un brame qui s’arrête très vite dans la matinée, de gros mâles qui se cachent, changent leurs habitudes, des biches qui se font rares, des daguets apeurés qui courent en tous sens… Même les réserves ont été concernées.
Pourquoi la faune adopte-t-elle un comportement déroutant ? Le constat est le même partout en Valais. La faune se fait discrète. Couronnés de bois impressionnants, les rois sont aux abonnés absents. Les hardes se limitent à quelques unités. Où est-il ce temps béni où les rivaux se toisaient, s’appropriaient de jolies femelles, bramant jusqu’à 500 fois par heure (information Pro Natura) ? En l’absence des grands mâles qui forcent le respect, les jeunes mâles perdus et paniqués sont livrés à eux-mêmes, les hardes chamboulées, déstructurées.
Des tirs sont parfois entendus avant les dates de la haute chasse. Pour quelles raisons ? Des biches meneuses, de grands mâles auraient-ils été sacrifiés avant l’ouverture de la chasse ? Si c’est le cas, l’organisation du rut est complètement désorganisée et les traumatismes nombreux durant cette période critique. Les gardes-chasse ne doivent-ils pas être les garants de la protection de la faune sauvage et tout faire pour empêcher les dérives ? Au fil du temps, le service de la chasse n’a-t-il pas acquis une meilleure connaissance des espèces permettant d’améliorer leur gestion ? Chaque année, celui-ci donne des directives pour tenter d’influencer des tirs plus ou moins sélectifs. Il a récemment favorisé celui des femelles pour enrayer ou diminuer les populations de jeunes de l’année suivante. La situation évoluant différemment dans chaque canton, on ne peut appliquer unilatéralement les mêmes principes dans l’ensemble des vallées. Une mauvaise gestion, des prélèvements erronés entraîneraient des déséquilibres toujours plus importants. La nature ne sait-elle pas, mieux que l’humain, ce qui est bon pour elle ?
Quand on fait le bilan de 2018, les prélèvements s’avèrent insuffisants. Un hiver très rude, de fortes chaleurs estivales ont diminué les effectifs et poussé les survivants, stressés, perturbés, à se cacher au plus profond des forêts.
Comment comprendre qu’une chasse spéciale soit organisée, que 330 biches en feront les frais alors que tout indique que les ongulés se raréfient ? Les statistiques ne reprennent que le nombre d’animaux tués. Tient-on compte de ceux qui n’ont été que blessés et qui se traînent quelquefois pendant de longues heures, en agonisant dans les pires souffrances avant de crever ou d’être finalement achevés à bout portant ? Est-ce un comportement digne de gens qui disent aimer la nature ?
Havre de paix, receleuse d’innombrables richesses fauniques, la montagne ne sera bientôt plus qu’un champ de ruines. Disparition des espèces. Silence de mort. Déchets carnés parfois laissés en montagne, sans aucun scrupule malgré des règles strictes à ce niveau.
Voici quelques décennies, vers le milieu du 19e siècle, le cerf avait complètement disparu de Suisse. Pourquoi avoir favorisé sa réintroduction et reconstitué un cheptel si c’est pour reproduire les mêmes erreurs et en arriver à la même conclusion : le détruire.
Dans une moindre mesure, d’autres faits ont un impact important sur les cerfs :
- Les coins adaptés au rut se réduisent comme peau de chagrin. Cantonnés dans des réserves, ils n’ont plus suffisamment de place pour évoluer normalement. De multiples perturbations détruisent leurs habitats tout en causant des traumatismes préjudiciables.
- Les promeneurs nombreux à se balader dans des zones non ouvertes à la chasse, l’écoute du brame, sorties organisées par diverses associations ou même par certains offices du tourisme représentent également des sources de dérangement pour la faune.
- Tous les photographes ne sont pas respectueux de la nature. En se déplaçant bruyamment, ils font fuir les animaux dans des secteurs non protégés. Si l’on souhaite écouter les cerfs ou les photographier, il est absolument nécessaire de se fondre dans l’environnement afin de passer inaperçu.
- Les chiens de certains randonneurs signalent leur présence par des aboiements. Les ongulés sont intelligents et les associent rapidement à ceux des canidés qui accompagnent leur maître lors de la chasse.
Il faut néanmoins remarquer que ces dérangements n’entraînent pas le déclin des espèces. Le stress existe mais à un moindre degré que le bruit des 4x4 et celui des armes à feu. Quand ça tire de tous les côtés, les bêtes fuient, restant le plus possible à couvert. Elles deviennent craintives et se cachent au plus profond de la forêt.
En Italie, au Gran Paradiso, la chasse est interdite depuis une centaine d'années, le tourisme et les activités humaines sont tout aussi conséquentes, mais mieux cadrées. Dans ces vallées préservées, les animaux se comportent normalement. On peut les approcher presque sans problème pour autant qu’on respecte leur distance de fuite. La régulation des espèces n'est pas nécessaire ; la nature gère elle-même les choses à son échelle avec l’aide du loup parfaitement accepté.
N’y a-t-il pas un peu d’exagération quand on clame haut et fort que les effectifs ne sont plus tolérables tant les dégâts aux forêts sont immenses ?
Le moment n’est plus éloigné où tout sera détruit ; la nature appartient pourtant à tout le monde. Ce ne sont pas les 0,2% de chasseurs que compte la Suisse qui devrait imposer ses lois. Le Valais n’est-il pas une démocratie ? Serait-il devenu une dictature dirigée par un petit groupe qui déforme la réalité ? La montagne, la faune, les différentes espèces ne nous appartiennent pas. A quel héritage les prochaines générations auront-elles droit ? N’oublions pas que la nature malmenée finit toujours par se rebiffer et prendre le dessus.