La montée est ardue, l’herbe est très haute, m’arrivant à mi-cuisse et cachant toutes les aspérités du terrain : trous, cailloux, ronces, orties. Je me fraie difficilement un chemin, tombant à plusieurs reprises, la pluie ayant rendu le terrain terriblement glissant. Le poids du matériel - une dizaine de kilos - me ralentit considérablement. La pente est à 80 degrés, le souffle se fait de plus en plus court, mes poumons commencent à brûler, les battements du cœur s’accélèrent mais la peur que les cerfs s’évanouissent comme par enchantement me poussent à me dépasser, j’ignore la souffrance. Arrivée dans la forêt, je dois ralentir le pas, poser précautionneusement mes pieds pour éviter de faire craquer branches, feuilles et toute chose pouvant signaler ma présence. Ils ne sont plus très loin, il y a déjà plus de 30 minutes que je me bats avec les éléments, je touche au but. Chaque pas est léger telle une plume, je frôle le sol et ma tête commence le bal frénétique du hibou : elle tourne à 360 degrés. Ils peuvent être n’importe où, se faire repérer maintenant équivaudrait à perdre toute chance de faire ne serait-ce qu’une photo. Et je refuse d’effrayer les animaux, même si cela arrive de temps en temps, malheureusement.
J’arrive aux abords de la prairie, posant doucement mon matériel derrière un sapin, bien cachée. Un ruisseau coulant à grands fracas me sépare du pâturage verdoyant où paissaient ces messieurs il y a peu. Malheureusement, il ne me faut que quelques secondes pour réaliser que je n’ai aucune vue sur la fameuse prairie, je suis engoncée dans un vallon. Le décor du ruisseau, orné de multitudes de petites cascades, est absolument idyllique, idéal pour des photos mais les cerfs sont-ils encore dans les parages ? J’installe mon matériel et là je remarque des mouvements une septantaine de mètres plus haut. Je braque l’appareil et je vois 2 cerfs disparaître derrière des sapins, hors de portée. Je suis ruinée physiquement mais encore plus mentalement, le constat est sévère : je les ai manqués. Le désespoir est palpable, il semblerait que j’ai fait tout ça pour rien. Je suis trempée jusqu’aux os, les muscles me font mal et ma respiration peine à reprendre son rythme normal. Le trajet a pris trop de temps malgré tous mes efforts…
Je ne m’apitoie pas longtemps sur mon sort, la providence sonne soudain à ma porte : je vois surgir un magnifique cerf 12 cors à 30m, de l’autre côté du ruisseau ! Une intense et indescriptible émotion, une récompense qui vaut pleinement les souffrances physiques et les conditions météos exécrables. Ce beau mâle est rapidement rejoint par un 2ème individu, un joli 10 cors aux yeux exorbités qui lui donnent un air de clown farceur. Ils entament la descente vers le ruisseau tout en s’arrêtant de temps à autre pour goûter à quelques chardons dépassant des hautes herbes. Ils semblent même converser par moment, leur langage leur est propre. Le bruit du ruisseau cache parfaitement le clic de l’appareil, ils ne peuvent donc me repérer, c’est parfait. Le décor est unique, mythique, la proximité est impressionnante, tout est réuni pour faire de sublimes photos. Ces 2 messieurs resteront près d’1 heure à moins de 25m de moi, traversant le ruisseau et paissant tranquillement. C’est moi la première qui décide de les laisser en paix après les avoir longuement observé. Je me glisse en silence dans la forêt, telle une ombre, les laissant vaquer à leurs occupations sans s’être doutés un seul instant de ma présence. Un au revoir mais pas un adieu.
Un photographe capture une image, une scène de vie. Mais au-delà de celles-ci se cache toujours une histoire : la rencontre unique, magique de l’homme avec l’animal. Un chemin remplit d’embûches, d’imprévus mais aussi et surtout d’émotions fortes, d’admiration et de respect. Et ainsi naît la passion.